SIONGRIE 2008

BIG trip - Daniel Gobert - jour 5

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Dimanche 17 août 2008

Cap sur le Horn

Je sais, un grain de folie nous habite. Certains rêvent de vacances toute l'année en pensant "all inclusive", pieds en éventail, station couchée, cocktail, piscine, serveuses affriolantes et palmiers. Moi, dans ma tête un peu fada de cyclogrimpeur amoureux des pentes folles, mon rêve de l'année en ascension se situait aujourd'hui, en ce dimanche très ensoleillé sur le Tyrol. "Nothing inclusive", pieds enserrés, station arc-boutée, bidon d'eau, sportifs en sueur et bitume surchauffé. Masochisme, quand tu nous tiens.

Eric Lucas me l'avait rappelé récemment : le Kitzbüheler Horn, c'est 10km à 13%, rien d'autre. 1300m en 10km, c'est impossible autrement. Pour obtenir une telle moyenne, on doit sûrement, pensais-je, lors du superbe petit déjeuner pris à l'hôtel Noichl, s'offrir du 20% sur de belles distances et ne pas avoir de replat. Je me préparais mentalement (mais avec la motivaion, j'avais ce moment en tête depuis 6 mois et le début de mon projet Siongrie, j'étais préparé) à arpenter avec douleur des pentes folles à briser les mollets, à triturer les cuisses, à pomper le coeur et à déprimer le moral. Mais, quand faut y aller, faut y aller. Je me préparais à installer le Kitzbüheler Horn dans mon album aux souvenirs aux côtés des Angliru, Zoncolan et autres Balmberg. Et je ne fus pas déçu. Oh que non, j'en ai bu tout mon saoûl !

10 km à peine de voiture pour me trouver au pied sur la route entre St Johann et Kitzbühel. Juste au carrefour, un parking de 5 places , encore inoccupé car j'étais très matinal, la journée me demandant encore un long déplacement solitaire à l'est pour atteindre la Hongrie et Györ. Mais nous sommes en août, nous sommes dimanche, la météo est au beau fixe, le Horn est le monument touristique de la région : à coup sûr, je n'allais pas être seul sur la route.

Alors, depuis le départ du parking au carrefour, comment se déroule l'ascension. En trois phases : l'approche sur 1km; le plat de résistance sur un peu plus de 6 km et l'apothéose sur 3 km. La première phase vous amène à travers les rues d'un petit village sur la ligne de départ de l'épreuve chronométrée, lieu du premier replat de 100m. La deuxième phase vous amène à son arrivée, à l'Alpenhaus, à 1670m d'altitude, terme du contre-la-montre ou des étapes du tour d'Autriche, pour un deuxième et dernier replat de 100m aussi. La troisième phase vous amène à l'autre cafétaria, le Gipfelhaus et même deux lacets plus haut, à l'escalier de l'antenne, à 1996m. En partant d'environ 700m, c'est dans le dur de dur à la dure !

L'Alpenhaus sépare la deuxième phaseà gauche avec la route large aux inscriptions et à droite, la troisième phase, sur un sentier étroit.

Démarrer à frois n'est jamais simple dans du plus de 10%, mais on a l'avantage qu'on a l'esprit occupé par le fait de bien suivre la route, qui, à un carrefour anodin, nous invite discrètement, à prendre à gauche. Replat : voici un ligne blanche, c'est le départ du chrono. Et de suite, le 13% est là en lacets réguliers, à travers 20 épingles à cheveux, nommées et numérotées sur 5 kilomètre. J'y suis dépassé par un skieur à roulettes et j'y rattrape un vélo couché et une vingtaine de marcheurs. Y'a du monde : c'est cap sur le Horn. Mais comme cyclo, je suis seul. Le kehre 8 (virage 8) est de la pure pente , appellation contrôlée, mon GPS indiquant 25%. Entre le km 5 et le km6 du chrono, vous prenez 150m. A bon entendeur, salut ! Et pourtant, je m'y sentais bien. Dans le rouge aux jambes, mais le coeur et les poumons à l'aise, alternant danseuse et selle. Les jours précédents commençaient à porter leur fruit. Sur 32x28, je moulinais et avançais à 6 km/h, ce qui est potable sur de telles pentes.

Les paysages sont grandioses et les vues sont larges, la route est très bonne et les indications vous accompagnent. C'est du tout bon, c'est un big BIG. L'Alpenhaus se fait alors sentir puisqu'on l'aperçoit deux lacets plus haut. C'est l'occasion de prendre un moment de calme sur le replat, pulsations redescendant instantanément. Après l'Alpenhaus, la fin de la route, une barrière à droite, avec un tourniquet et un sentier asphalté d'un mètre de large qui s'envole à plus de 15% dans le mètre qui suit. e vois un groupe d'une vingtaine de marcheurs 100m plus haut et un car de touristes qu'on dépose pour marcher jusqu'au sommet. Décidément, je ne serai pas seul. Les autrichiens rigolent en me voyant me contorsionner sous la barrière avec mon vélo pour passer, puis surtout pour redémarrer dans le 15% juste après. Je vous donne trois solutions : vous descendez les gravillons à gauche et vous y prenez votre élan si vous avez un VTT, vous demandez à un marcheur de vous pousser s'il a l'air aimable, ou vous marchez dix mètres et vous mettez votre vélo perpendiculairement à la route sur la gauche sur une portion plate d'un mètre cinquante. J'ai pris la 3e solution. Je fixe une pédale clic, je fonce sur un mètre en oblique en priant que l'autre pédale se clique aussi. Ca fonctionne, je me dresse sur les pédales et je fais un mètre : c'est gagné. Les marcheurs hurlent de rire et m'applaudissent en même temps.

22% dans le sentier entre l'Alpenhaus et le Gipfelhaus, sur 1m delarge. Accrochez-vous ! (photo : Quaeldich)

Sur un sentier d'un mètre de large, dépasser autant de marcheurs et une dizaine de VTT dont les chemins de traverse rencontrent parfois un passage sur l'asphalte, a pas mal d'inconvénients comme le zig-zag obligatoire, la prudence, l'obligation de s'excuser constamment; mais a aussi l'avantage d'être encouragé comme un hollandais dans l'Alpe d'Huez. Plus ça monte, je vous préviens, plus ça grimpe. Et les trois derniers lacets menant au café Gipfelhaus, puis à l'antenne ont des passages supérieurs à 20% : les piétons s'arrêtent et vous acclament.

L'Antenne domine un monument tyrolien appelé le Kitzbüheler Horn.

Au sommet, juste en face de l'excalier, contre la pierre, je m'assieds. Un autrichien me demande d'où je viens en allemand. Je réponds de Belgique. Il me demande d'où je suis parti, je lui dis de Kitzbühel. Il me demande mon temps. Je lui dis 1h25. Il ouvre les yeux, puis me serre la main en me disant qu'il sait ce que ça signifie. C'est un marathonien en 3h30. Il me dit que le Horn, c'est plus dur qu'un marathon. Je n'en suis pas certain, mais j'apprécie. Je bois un bidon en entier. Il me reste à descendre, les poignets à fond sur les patins, en criant tout le temps pour prévenir les familles avec enfants, les chiens et les marmottes. Je suis heureux de repasser sous la barrière. Je me laisse aller un peu plus vite par après et je retrouve ma brave voiture de location au pied. Le Kitzbüheler Horn est dans la poche, dans l'album de mes grands souvenirs, dans la légende de ma petite vie de cyclogrimpeur. La vie est belle.

Dans la descente, je me rends compte que mon frein droit est pratiquement à fond. J'ai usé mes patins et il faut que je tienne encore trois jours car demain je suis en Hongrie et aujourd'hui... c'est dimanche et fermé. Je freinerai en descente les trois jours qui viennent en majorité du frein avant. Je reprends ensuite la voiture vers l'est, traversant Saalfelden, dont on reparlera bientôt. Mon programme initial avait prévu de longs détours par de petites routes pour attaquer les peu pentus Preiner Gscheid et Rohrer Sattel, mais mon trajet passant naturellement par le Dientner Sattel et le nombre de kilomètres à parcourir m'encourageant à faire simple, je décide de laisser la voiture au sommet de ce Dientner Sattel et de le faire comme ultime BIG (et col) supplémentaire pour aujourd'hui. Bref, c'est le 3e que je laisse tomber. Ca fera 17 a lieu de 20 au total du Siongrie. Pas parfait mais pas si mal quand même !

Le soleil est présent , le sommet du Dientner Sattel est peuplé de motards et touristes promeneurs. Je descends en vélo en me disant que j'ai tout l'après-midi pour remonter la dizaine de bornes. Bien sûr, il y a un peu de pente, juste parfois au-dessus du 10% mais après le Horn, tout semble simple. la route est large et admirablement revêue. Les villas fleuries ornent à merveille un paysage de montagne presqu'un peu trop propret. Tout y est soigné et harmonieux. Je n'ai pas grimpé rapidement, j'ai beaucoup pensé en grimpant. Comme je l'ai dit souvent en grimpant "never say why, always say how".Ne vous demandez jamais pourquoi, demandez-vous comment ? Le BIG, ce challenge BIG, mon bébé, mon enfant. Ce rêve fou d'un jeune adulte transformé aujourd'hui, 23 ans plus tard, en un challenge international avec près de 1500 membres. Ce challenge qui a accompagné ma vie durant un quart de siècle, qui l'a souvent construite, qui l'a aussi parfois... brisée. Ce sempiternel balancier entre la passion et la raison, entre la montagne et mon pays, entre mes rêves et mon quotidien, entre le vélo et les miens. Ils me manquent, les miens, ils me manquent beaucoup et pourtant, avec eux, je rêve souvent de ces lieux-ci, grandioses et majestueux, mirifiques et géants. Et dans ceux-ci, je rêve d'avoir les miens à mes côtés, ceux que j'aime, ceux de qui je partage tous les jours, les peines et les détresses, les joies et les ivresses. Le paradoxe de la vie me prend la tête en grimpant le Dientner Sattel.

Un paysage si clean qu'il est parfois trop beau ! Bonjour, Dientner Sattel.

Jusqu'à un paradoxe plus fonctionnel. Je pense enfin pour la première fois à coller un autocollant au sommet. Je prends même une photo avec mon vieil appareil pas numérique du tout. je suis toujours un des derniers avec le nouveau matériel. Un des derniers à avoir un GSM, un des derniers à avoir un appareil photonumérique. J'ai été un des derniers à avoir des clics à mes pédales. Je me trouve tellement paradoxal que ça me fait rire tout seul sous les yeux interrogateurs de motards à l'arrêt.

Allez, ouste, Hongrie me voilà. Je file sur Vienne, en profitant à nouveau d'un spaghetti bolognaise tassé du restoroute. J'achète la vignette à la frontière hongroise, la seule qu'on ne colle pas, une vignette purement papier. Direction Györ et Budapest. La nuit sera à Györ, Budapest sera pour demain. Jó napot, Magyarország ! Bonjour, la Hongrie. Dès le passage de la frontière, je me pose cent mille questions sur les indications, je n'y comprends plus rien. Aucune racine latine ni germanique, une langue ouralienne absolument inhabituelle pour moi m'indique les carrefours, les sortes d'essence, les plats à emporter. Je pense tellement aux ascensions que quand je vois 2100 ft, je me dis "tiens, ils comptent en pieds". Eh bien non, FT : ce sont des Forints, pas des feet, monsieur Gobert ! La monnaie hongroise ! 21000 Forints = 100 €, simple, non ? Non !

Voici déjà Györ et il est déjà 20 heures. Je suis plus tôt que la veille, mais le plan viamichelin me donne des noms de rue que je ne vois pas. Elles ne sont même parfois pas indiquées. Je me perds et file finalement vers le centre. Bouchon en ville; sur la rivière, c'est une fête musicale ! Plus une place pour se parquer! Jje vois un plan de la ville, j'arrête ma voiture en plein milieu du chemin. C'est écrit trop petit, je n'ai pas mes lunettes. Un nouveau tour de ville, un ! Je le stationne avant la rivière et je choisis un couple de jeunes. Un jeune hongrois, ça doit apprendre l'anglais ???? Oui, ouf ! Mais ils ne connaissent pas la rue. Ils regardent mon plan Michelin et ils m'indiquent que ça doit être dans les vieux laids quartiers de la ville. Ma voiture n'est pas assurée contre le vol : ça ne me rassure pas.

Je finis vers 21h30 par trouver la "Panzio" réservée via internet. Lieu mal famé, peuplé de bandes de mâles aux allures patibulaires qui passent, tout l'opposé du centre ville où des hongrois joyeux chantent et rient. Je ne suis pas rassuré. L'hôtesse de l'hôtel est jeune, jolie, mais ne parle ni l'anglais, ni l'allemand ! Ca me fait une belle jambe. Heureusement, mon papier internet avec un numéro de réservation me sauve. Elle me montre ma chambre. Une alcôve d'étudiant, plafond à 4m de haut, 1m20 de large, avec une salle de bains aux tuyaux rouillés mais au carrelage ultra-moderne. J'ai vraiment peur pour la voiture stationnée à l'entrée bien que j'ai choisi de louer une petite cylindrée. Je m'endors tant bien que mal après avoit visionné l'équipe masculine de water-polo hongroise aux J.O. de Pékin.